CAUCHEMAR EN GRIS
UNE NOUVELLE DE FREDERIC BROWN
Temps de lecture : 2-3 minutes
Auteur : Fredric Brown © 1961
La présente nouvelle est parue pour la première fois en 1961, dans le recueil Fantômes et farfafouilles. Bien que très courte, elle se démarque autant par sa fin inattendue que par son style soigné, percutant et minimaliste. Comme souvent, l'auteur prend soin de nous plonger dans une atmosphère empreinte de sensibilité avant de mieux nous surprendre.
L'illustration utilisée ici est l'œuvre de l'artiste conceptuel indépendant canadien Jayison Devadas, lequel collabore avec de nombreux studios à travers le monde pour les industries du cinéma et des jeux vidéo.
Plus on prend de l’âge, moins on a peur des fantômes, que l’on y croit ou pas. Et quand on a passé la cinquantaine, tant de gens que l’on a connus sont morts que les fantômes, si tant est qu’ils existent, ne sont pas tous des inconnus. Certains de nos meilleurs amis sont des fantômes, alors pourquoi en aurait-on peur ? D'autant que dans bien peu d’années, on aura soi-même sauté le pas.
Fredric Brown
La nuit du Jabberwock, 1951
Plus on prend de l’âge, moins on a peur des fantômes, que l’on y croit ou pas. Et quand on a passé la cinquantaine, tant de gens que l’on a connus sont morts que les fantômes, si tant est qu’ils existent, ne sont pas tous des inconnus. Certains de nos meilleurs amis sont des fantômes, alors pourquoi en aurait-on peur ? D'autant que dans bien peu d’années, on aura soi-même sauté le pas.
Fredric Brown
La nuit du Jabberwock, 1951
*
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Il se réveilla avec une merveilleuse sensation de bien-être, savourant l'éclat et la douce chaleur du soleil, dans l'air printanier. Il s'était assoupi sans bouger sur le banc du jardin public, seule sa tête s'était penchée en avant ; son somme n'avait pas duré une demi-heure, il le savait, puisque l'ombre du doux soleil n'avait que peu avancé pendant son sommeil.
Le jardin resplendissait du vert du printemps, un vert plus doux que celui de l'été ; c'était une journée magnifique et il était jeune amoureux. Merveilleusement amoureux, amoureux à en avoir le vertige. Et heureux en amour : la veille, qui était un samedi, il s'était déclaré à Susan dans la soirée et elle avait dit oui. Plus ou moins oui. Pour être précis, elle ne lui avait pas dit oui, mais elle l'avait invité à venir, aujourd'hui dimanche, dans l'après-midi, faire la connaissance de ses parents ; elle avait dit : "J'espère que vous les aimerez et qu'eux vous aimeront ... qu'ils vous aimeront autant que je vous aime." Si ce n'était pas là l'équivalent d'un oui, qu'était-ce ? Cela avait été un amour en coup de foudre, pratiquement, raison pour laquelle il ne connaissait pas encore les parents de la jeune fille.
Adorable Susan aux doux cheveux sombres, à l'adorable nez tout petit, presque de carlin, aux tendres taches de rousseur à peine marquées, et aux grands yeux noirs si doux ...
C'était la chose la plus merveilleuse qui lui fût jamais arrivée, la chose la plus merveilleuse qui pût jamais arriver à n'importe qui.
On en était enfin à ce "milieu d'après-midi" où Susan lui avait dit de venir. Il se leva de son banc et, un peu engourdi par sa sieste, il s'étira voluptueusement.
Puis il se mit en route vers la maison, à quelques centaines de mètres du jardin public où il s'était assis pour tuer le temps, vers la maison à la porte de laquelle il avait raccompagné Susan la veille au soir. Une petite promenade agréable sous le beau soleil, par ce beau jour de printemps.
Il monta les marches du perron, frappa à la porte. La porte s'ouvrit et, pendant une fraction de seconde il crut que c'était Susan elle-même qui lui ouvrait. Mais la jeune fille ressemblait seulement à Susan. Sa sour, sans doute, la veille elle lui avait en effet parlé d'une sour, son aînée d'un an seulement.
Il s'inclina et se présenta cérémonieusement et demanda à voir Susan. Il eut l'impression que la jeune fille le regardait d'un air bizarre, mais elle se contenta de lui dire : "Entrez, je vous prie, elle n'est pas là pour l'instant, mais si vous voulez bien attendre au salon, là ..."
Il s'assit et attendit au salon, là. C'était bizarre qu'elle fût sortie. Même pour peu de temps.
C'est alors qu'il entendit la voix, la voix de la jeune fille qui lui avait ouvert la porte ; la jeune fille parlait dans l'entrée et, mû par une explicable curiosité, il se leva et alla coller son oreille contre la porte.
La jeune fille parlait, semblait-il, au téléphone.
— Harry ? Je t'en supplie, rentre immédiatement ! Et ramène le docteur ! Oui, c'est grand-père ... Non, pas une nouvelle attaque cardiaque ... Non, c'est comme la dernière fois où il a eu sa crise d'amnésie et où il a cru que grand-mère était encore ... Non, ce n'est pas de la démence sénile, Harry, simplement de l'amnésie. Mais cette fois, c'est plus grave. Il a décroché de cinquante ans, cette fois ... il est revenu à l'époque où il n'avait pas encore épousé grand-mère ...
Très vieux soudain, vieilli de cinquante ans en cinquante secondes, grand-père se mit à sangloter sans bruit, appuyé contre la porte.
Il se réveilla avec une merveilleuse sensation de bien-être, savourant l'éclat et la douce chaleur du soleil, dans l'air printanier. Il s'était assoupi sans bouger sur le banc du jardin public, seule sa tête s'était penchée en avant ; son somme n'avait pas duré une demi-heure, il le savait, puisque l'ombre du doux soleil n'avait que peu avancé pendant son sommeil.
Le jardin resplendissait du vert du printemps, un vert plus doux que celui de l'été ; c'était une journée magnifique et il était jeune amoureux. Merveilleusement amoureux, amoureux à en avoir le vertige. Et heureux en amour : la veille, qui était un samedi, il s'était déclaré à Susan dans la soirée et elle avait dit oui. Plus ou moins oui. Pour être précis, elle ne lui avait pas dit oui, mais elle l'avait invité à venir, aujourd'hui dimanche, dans l'après-midi, faire la connaissance de ses parents ; elle avait dit : "J'espère que vous les aimerez et qu'eux vous aimeront ... qu'ils vous aimeront autant que je vous aime." Si ce n'était pas là l'équivalent d'un oui, qu'était-ce ? Cela avait été un amour en coup de foudre, pratiquement, raison pour laquelle il ne connaissait pas encore les parents de la jeune fille.
Adorable Susan aux doux cheveux sombres, à l'adorable nez tout petit, presque de carlin, aux tendres taches de rousseur à peine marquées, et aux grands yeux noirs si doux ...
C'était la chose la plus merveilleuse qui lui fût jamais arrivée, la chose la plus merveilleuse qui pût jamais arriver à n'importe qui.
On en était enfin à ce "milieu d'après-midi" où Susan lui avait dit de venir. Il se leva de son banc et, un peu engourdi par sa sieste, il s'étira voluptueusement.
Puis il se mit en route vers la maison, à quelques centaines de mètres du jardin public où il s'était assis pour tuer le temps, vers la maison à la porte de laquelle il avait raccompagné Susan la veille au soir. Une petite promenade agréable sous le beau soleil, par ce beau jour de printemps.
Il monta les marches du perron, frappa à la porte. La porte s'ouvrit et, pendant une fraction de seconde il crut que c'était Susan elle-même qui lui ouvrait. Mais la jeune fille ressemblait seulement à Susan. Sa sour, sans doute, la veille elle lui avait en effet parlé d'une sour, son aînée d'un an seulement.
Il s'inclina et se présenta cérémonieusement et demanda à voir Susan. Il eut l'impression que la jeune fille le regardait d'un air bizarre, mais elle se contenta de lui dire : "Entrez, je vous prie, elle n'est pas là pour l'instant, mais si vous voulez bien attendre au salon, là ..."
Il s'assit et attendit au salon, là. C'était bizarre qu'elle fût sortie. Même pour peu de temps.
C'est alors qu'il entendit la voix, la voix de la jeune fille qui lui avait ouvert la porte ; la jeune fille parlait dans l'entrée et, mû par une explicable curiosité, il se leva et alla coller son oreille contre la porte.
La jeune fille parlait, semblait-il, au téléphone.
— Harry ? Je t'en supplie, rentre immédiatement ! Et ramène le docteur ! Oui, c'est grand-père ... Non, pas une nouvelle attaque cardiaque ... Non, c'est comme la dernière fois où il a eu sa crise d'amnésie et où il a cru que grand-mère était encore ... Non, ce n'est pas de la démence sénile, Harry, simplement de l'amnésie. Mais cette fois, c'est plus grave. Il a décroché de cinquante ans, cette fois ... il est revenu à l'époque où il n'avait pas encore épousé grand-mère ...
Très vieux soudain, vieilli de cinquante ans en cinquante secondes, grand-père se mit à sangloter sans bruit, appuyé contre la porte.
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Un homme à la recherche d'une actrice prisonnière d’abominables Hommes des neiges, un dictateur contaminé par une intelligence extraterrestre, un escroc minable qui possède le don de tuer à distance, depuis un simple téléphone ... Paru en 1961, Fantômes et farfafouilles est un recueil de 42 nouvelles écrites par Fredric Brown. Qu'elles soient courtes ou qu'elles allongent au contraire l'ombre de leur mystère sur plusieurs pages, presque toutes se terminent de manière inattendue, provoquant la surprise du lecteur, qui comprend dès lors qu'il a été manipulé, puisque rien, ni le ton, ni le sujet, ne lui permet de deviner avant la chute s'il est en train de lire une histoire à rire ou à frissonner.
Un homme à la recherche d'une actrice prisonnière d’abominables Hommes des neiges, un dictateur contaminé par une intelligence extraterrestre, un escroc minable qui possède le don de tuer à distance, depuis un simple téléphone ... Paru en 1961, Fantômes et farfafouilles est un recueil de 42 nouvelles écrites par Fredric Brown. Qu'elles soient courtes ou qu'elles allongent au contraire l'ombre de leur mystère sur plusieurs pages, presque toutes se terminent de manière inattendue, provoquant la surprise du lecteur, qui comprend dès lors qu'il a été manipulé, puisque rien, ni le ton, ni le sujet, ne lui permet de deviner avant la chute s'il est en train de lire une histoire à rire ou à frissonner.
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Un homme à la recherche d'une actrice prisonnière d’abominables Hommes des neiges, un dictateur contaminé par une intelligence extraterrestre, un escroc minable qui possède le don de tuer à distance, depuis un simple téléphone ... Paru en 1961, Fantômes et farfafouilles est un recueil de 42 nouvelles écrites par Fredric Brown. Qu'elles soient courtes ou qu'elles allongent au contraire l'ombre de leur mystère sur plusieurs pages, presque toutes se terminent de manière inattendue, provoquant la surprise du lecteur, qui comprend dès lors qu'il a été manipulé, puisque rien, ni le ton, ni le sujet, ne lui permet de deviner avant la chute s'il est en train de lire une histoire à rire ou à frissonner.