RUBIS SUR L'ONGLE
UNE NOUVELLE POUR LES LAMES DU CARDINAL
Temps de lecture : 7-9 minutes
Auteur : inconnu © Env. 1640
La présente nouvelle rend hommage à la célèbre saga du romancier Pierre Pevel, laquelle prend place dans une France uchronique du XVIIe siècle, au temps de Richelieu et Mazarin. Mais alors que les deux hommes d’État avaient pour habitude de faire appel à un petit groupe de combattants d’élite lorsque la situation l'exigeait, il n'est point question de ces derniers ici ... du moins en apparence.
L'illustration sélectionnée pour l'occasion est une création de l'artiste américain et designer conceptuel indépendant Campbell White. Parmi ses nombreuses collaborations, nous pouvons citer le studio de développement de jeux vidéo Respawn Entertainment et l'éditeur qui a popularisé à lui seul les jeux de cartes à collectionner, Wizards Of The Coast.
Le tyran mitré de la France trouva pourtant un cœur de chair près de la miaulante engeance. Dans les rares et courts moments que les politiques tourments nécessitaient d'intermittence, un panier de chatons charmants divertissait Son Éminence.
François Maynard
Épigramme à la mort de Richelieu, 1642
Le tyran mitré de la France trouva pourtant un cœur de chair près de la miaulante engeance. Dans les rares et courts moments que les politiques tourments nécessitaient d'intermittence, un panier de chatons charmants divertissait Son Éminence.
François Maynard
Épigramme à la mort de Richelieu, 1642
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Lorsque Son Éminence ploie son auguste personne dans son imposant fauteuil, sa soutane en laine forme entre ses genoux cagneux une sorte d’encorbellement dans lequel je peux me blottir délicatement. En cette chaude matinée de printemps, alors que la fièvre et les migraines l'assaillent depuis qu'elle a quitté sa chambre, elle reçoit la visite de l'ambassadeur des Hasbourg ; un dignitaire au visage de fouine encadré d'une fine moustache et d'une petite barbe en pointe, qui lui déclame une série d’éloges d’un ennui abyssal. Déjà, je sens l’exaspération poindre à la pression que sa main exerce sur ma nuque, si bien que lorsque le diplomate se retire enfin, elle ne peut s’empêcher de maugréer, consciente que le défilé des quémandeurs n’est point terminé. Seul être toléré durant ces discussions interminables depuis la truculente affaire du chevalier de Mérancourt, un persan de trois ans au pelage blanc mordoré ... moi !
Les heures qui suivent ne sont qu'une succession malaisante de génuflexions, de flatteries et autres courbettes, jusqu'à ce qu'une silhouette silencieuse se glisse discrètement dans le dos du cistercien depuis une porte dérobée, sans parvenir à le surprendre. Car le cardinal est des nôtres : il est doté d’un sixième sens capable de l’alerter en cas de danger. C'est le fidèle Dario qui, malgré un prénom d’origine transalpine, n'est nullement italien, mais gascon ; un sujet de notre bon roi donc, intelligent et audacieux, mais surtout un redoutable bretteur, qui s'est fait remarquer en surmontant nombre de périls dont il a cru bon toujours sortir indemne. Sans attendre, il se fait l'écho des rumeurs qui grenouillent autour de la reine mère dans un accent épouvantable qui trahit son ascendance occitane. À la façon dont le prélat me taquine les omoplates, je le devine fort amusé ; il est vrai que tant que la noblesse est occupée à manigancer, elle ne songe guère à faire autre chose. Satisfait, il remercie sa créature d’un geste solennel, lui signifiant qu’il en a assez entendu pour aujourd’hui. Et tandis qu'elle s’empresse de quitter les lieux, ombre parmi les ombres, j’en profite pour m’étirer longuement tout en bâillant. Mais voici que le principal ministre du roi me gratouille la tête cependant que son corps pétri d’arthrose s'anime avec difficulté. Je comprends qu’il trépigne d'impatience à l'idée de sa prochaine entrevue, en la personne de la marquise de Bonvouloir. La jeune femme, connue pour sa vivacité d’esprit autant que sa beauté ravageuse, lui rend visite chaque fois qu’elle accompagne son époux, le chevalier Julien Achard, gentilhomme issu d'une famille originaire du Poitou, depuis établie en Normandie, qui ignore tout de ces rencontres impromptues.
— Enfin, vous voici Madame. Eh bien, dites-moi vite ! Quelles sont les dernières nouvelles ?
Précisons que l'intrigante - qui malgré ses multiples talents, ne saurait supporter la comparaison avec feue la regrettée comtesse de Winter, doit sa position enviée à la mission qu’elle conduit discrètement à la cour : repérer parmi les jeunes filles de haute naissance du royaume celles qui auront prochainement le loisir de rencontrer Son Éminence et de participer, si elle y concède, à ses distractions favorites. Et si elle ne connaît jamais l'échec, n’hésitant pas à mettre ses ressources, ses charmes et son absence totale de scrupule au service de son protecteur, cette fois-ci, elle feint de faire grise mine :
— Votre Éminence, qu'elle joie de vous revoir ! Je m'en viens tout droit des Tuileries, où il n'est plus question que de la mort du duc de Saxe-Weimar et des prochaines offensives de notre vaillante armée du nord. Nombreux sont ceux qui conseillent Sa Majesté de porter son attention sur les pays qui en seront le théâtre, mais notre bon Louis se refuse à interroger sur cette opinion la diplomatie assemblée autour de lui.
— Voyons, marquise, nous n'ignorons rien de la présente situation ! Et pour tout vous dire, nous réfléchissons déjà à en prévoir les conséquences. Quant à ces causeries, nous n'avons que faire de ces petits maîtres ridicules qui s'excitent et frétillent à la simple idée du prestige qu'ils pourraient tirer de leur proximité avec le roi. Fort heureusement, l'époque où le profit allait aux seuls soumis capables de flagorneries est définitivement révolue ... Parlez-moi plutôt de nos affaires. Auriez-vous enfin trouvé la pie au nid ?
— À dire vrai, les familles de nos provinces éprouvent de plus en plus de frilosité à se montrer à la cour, et j'avoue connaitre le plus grand mal à trouver une prétendante à la hauteur des exigences de Son Éminence. C'est la raison pour laquelle j'ose la supplier de bien vouloir me pardonner, d'autant que j'ai comme compagnie une charmante ingénue découverte récemment, aussi timide que puisse l'être une fleur cachée sous les feuilles, et dont la candeur devrait lui faire oublier, l'espace d'un moment, les tracas du pouvoir.
— Ah ? Vos propos ne manquent pas d'éveiller notre curiosité. Et puisqu'il nous faudra encore patienter avant de pouvoir mener une rencontre d'importance, voyons pour l'heure quel chat nous avons bien pu acheter en poche.
— Elle appartient à l'une des familles les plus honnêtes et les plus respectables qui soient et mène en cela une vie irréprochable. Elle a été élevée simplement, dans l'ignorance des enjeux qui intéressent les grands de ce monde et de la politique. Votre Éminence, laissez-moi vous présenter l'ineffable ... Mademoiselle de Vallin !
Sur ces mots, la marquise de Bonvouloir entreprend une brève révérence et s'en va virevoltant en direction de l’imposante porte en chêne qui sépare le bureau du vestibule voisin. Les valets de pied, la voyant approcher, ouvrent diligemment les battants richement ouvragés, invitant une silhouette plongée dans la pénombre à entrer. Et alors qu’elle s'avance lentement, la douce lumière qui inonde la pièce depuis les hautes baies, par un délicat jeu de clair-obscur, souligne la finesse de sa taille, l’élégance de son allure et son port de tête gracile. Puis, à mesure qu'elle se rapproche, l'étrange apparition laisse progressivement la place à une éblouissante demoiselle dont la délicatesse du visage, encadré de longues boucles mordorées, le regard gris perle et les lèvres délicieusement ourlées, finissent d'ensorceler le vieil homme, à présent tout entier sur son séant :
— Entrez, mon jeune enfant, entrez donc. Ne craignez rien.
La plupart des audiences se déroulent dans le calme feutré qui convient aux rencontres diplomatiques, mais un réflexe atavique me saisit soudain. Je n’en crois pas mes yeux : au bout de la laisse que la jouvencelle tient entre ses mains délicates, j’aperçois un siamois de la plus pure race. Un émissaire du Siam, allié des hollandais, rue Saint-Honoré, en plein cœur de Paris ?! N'écoutant que mon courage, je me rue sans délai sur l’importun, à l'instar de sa maîtresse, qui se risque à lui porter secours :
— Léonard !
Toutes griffes dehors, je tente d’atteindre ma cible d'un habile coup de patte avant de me dégager, mais ce diable au regard vicieux se dérobe d'une sémillante cabriole. Tout en poussant de longs miaulements rauques et en faisant le gros dos, je me déplace lentement dans sa direction en changeant de ligne. Le malotru se met immédiatement en garde, le corps effacé pour se protéger d’une éventuelle attaque, et me répond en crachant. Prime. L'instant d'après, les coups pleuvent et nos pelages s’entremêlent, alors que nous nous roulons sur les tapis précieux et que nos vociférations emplissent les lieux ; il saigne de l'oreille, moi du museau. Seconde. Reprenant l'initiative, je fais mine de provoquer une ouverture, mais il devine mes intentions et s'éclipse sous un secrétaire. Le bougre est trop rapide et je n'ai d'autre choix que de me lancer à sa poursuite. Dénué d'audace, il décide de rompre le combat et de se mettre hors de portée en s’accrochant à un rideau qu'il escalade en toute hâte.
— À la garde ! hurle le cardinal. Rubis, il suffit, c'est assez !
Deux mousquetaires à la casaque écarlate et au large feutre orné d'un panache blanc surgissent dans la pièce, le chien de leur pistolet abattu, tandis que nous sautons de voilages en tentures. Soudain, une tringle se décroche et chute sur Madame de Bonvouloir. La malheureuse peine à se dépêtrer des épaisses étoffes, cependant que notre engagement reprend de plus belle. Tierce. Je repousse une nouvelle attaque et, passant rapidement de profil, je déclenche une riposte et l'écorne en retour, sans succès. Quarte. Il feint une retraite puis s'allonge de tout son long et me lance, avec force énergie, une volée de griffes acérées que j’esquive avant d’entreprendre une manœuvre pour le saisir. Quinte. Alors que j’empoigne l’intrus et que Mademoiselle de Vallin porte ses mains à son visage de désarrois, les gardes s’affairent autour de la marquise. Tenace, il parvient à se libérer en effectuant une roulade vers l’arrière, mettant dès lors suffisamment de distance entre nous, si bien que nous convenons d’une trêve et reprenons notre souffle. Le vacarme se mue aussitôt en un silence pesant ; ce genre de silence qui précède l’assaut final. Sixte. De face, il précipite une énième estocade en prenant appui sur la table, mais je passe par-dessous dans un mouvement emmené et profite de l'occasion pour me positionner derrière lui, non sans renverser une écuelle de lait sur la pauvre marquise, désormais en prise avec les paniers qui maintiennent les jupons de sa robe. Son Éminence, visiblement meurtrie par tant de désordre, a retrouvé son fauteuil d’où elle agonise en poussant de longs râles, de telle sorte que chacun la croit à l'article de la mort. De son côté, mon adversaire a trouvé refuge dans les bras de sa jeune maîtresse, faisant de notre échauffourée rien de moins qu’un singulier souvenir, et tous se penchent bientôt sur le mourant pour recueillir ses dernières paroles. Assis sur mon postérieur, plissant doucement les yeux, je prends quelques instants pour remettre un peu d'ordre dans mon pelage, d'ordinaire si soigné. Mon ouïe affûtée me permet d’entendre les ultimes volontés de l'ecclésiastique et pair de France, dont certains gageront qu'il aura préféré foudroyer ses semblables plutôt que de les gouverner :
— Tout va bien, laissez-nous. Laissez-nous ! ordonne-t-il en agitant négligemment les mains, manifestement remis de ses émotions. Madame, si nous n’apprécions guère le procédé, force est de reconnaitre que vous vous êtes une fois de plus montrée à la hauteur de nos expectations ... ainsi que des sommes astronomiques qui servent vos émoluments.
— Son Éminence devrait prendre un peu de repos. Après tout, les ordonnances et les lois peuvent bien attendre. Souhaitez-vous que l'on fasse venir Blouyn afin qu'il vous donne vos médecines ?
— N'en faites rien ! Les grands embrasements naissent souvent de petites étincelles, et nous réfléchissons justement à priver le parlement britannique d’une déplaisante alliance avec l'Espagne ; projet dont il nous faut instruire Mademoiselle de Vallin sur-le-champ si nous voulons qu'elle attise les flammes d’un incendie qui finira de consumer le royaume d’Angleterre ... Qu'elle nous rejoigne dans nos appartements ... SEULE !
Lorsque Son Éminence ploie son auguste personne dans son imposant fauteuil, sa soutane en laine forme entre ses genoux cagneux une sorte d’encorbellement dans lequel je peux me blottir délicatement. En cette chaude matinée de printemps, alors que la fièvre et les migraines l'assaillent depuis qu'elle a quitté sa chambre, elle reçoit la visite de l'ambassadeur des Hasbourg ; un dignitaire au visage de fouine encadré d'une fine moustache et d'une petite barbe en pointe, qui lui déclame une série d’éloges d’un ennui abyssal. Déjà, je sens l’exaspération poindre à la pression que sa main exerce sur ma nuque, si bien que lorsque le diplomate se retire enfin, elle ne peut s’empêcher de maugréer, consciente que le défilé des quémandeurs n’est point terminé. Seul être toléré durant ces discussions interminables depuis la truculente affaire du chevalier de Mérancourt, un persan de trois ans au pelage blanc mordoré ... moi !
Les heures qui suivent ne sont qu'une succession malaisante de génuflexions, de flatteries et autres courbettes, jusqu'à ce qu'une silhouette silencieuse se glisse discrètement dans le dos du cistercien depuis une porte dérobée, sans parvenir à le surprendre. Car le cardinal est des nôtres : il est doté d’un sixième sens capable de l’alerter en cas de danger. C'est le fidèle Dario qui, malgré un prénom d’origine transalpine, n'est nullement italien, mais gascon ; un sujet de notre bon roi donc, intelligent et audacieux, mais surtout un redoutable bretteur, qui s'est fait remarquer en surmontant nombre de périls dont il a cru bon toujours sortir indemne. Sans attendre, il se fait l'écho des rumeurs qui grenouillent autour de la reine mère dans un accent épouvantable qui trahit son ascendance occitane. À la façon dont le prélat me taquine les omoplates, je le devine fort amusé ; il est vrai que tant que la noblesse est occupée à manigancer, elle ne songe guère à faire autre chose. Satisfait, il remercie sa créature d’un geste solennel, lui signifiant qu’il en a assez entendu pour aujourd’hui. Et tandis qu'elle s’empresse de quitter les lieux, ombre parmi les ombres, j’en profite pour m’étirer longuement tout en bâillant. Mais voici que le principal ministre du roi me gratouille la tête cependant que son corps pétri d’arthrose s'anime avec difficulté. Je comprends qu’il trépigne d'impatience à l'idée de sa prochaine entrevue, en la personne de la marquise de Bonvouloir. La jeune femme, connue pour sa vivacité d’esprit autant que sa beauté ravageuse, lui rend visite chaque fois qu’elle accompagne son époux, le chevalier Julien Achard, gentilhomme issu d'une famille originaire du Poitou, depuis établie en Normandie, qui ignore tout de ces rencontres impromptues.
— Enfin, vous voici Madame. Eh bien, dites-moi vite ! Quelles sont les dernières nouvelles ?
Précisons que l'intrigante - qui malgré ses multiples talents, ne saurait supporter la comparaison avec feue la regrettée comtesse de Winter, doit sa position enviée à la mission qu’elle conduit discrètement à la cour : repérer parmi les jeunes filles de haute naissance du royaume celles qui auront prochainement le loisir de rencontrer Son Éminence et de participer, si elle y concède, à ses distractions favorites. Et si elle ne connaît jamais l'échec, n’hésitant pas à mettre ses ressources, ses charmes et son absence totale de scrupule au service de son protecteur, cette fois-ci, elle feint de faire grise mine :
— Votre Éminence, qu'elle joie de vous revoir ! Je m'en viens tout droit des Tuileries, où il n'est plus question que de la mort du duc de Saxe-Weimar et des prochaines offensives de notre vaillante armée du nord. Nombreux sont ceux qui conseillent Sa Majesté de porter son attention sur les pays qui en seront le théâtre, mais notre bon Louis se refuse à interroger sur cette opinion la diplomatie assemblée autour de lui.
— Voyons, marquise, nous n'ignorons rien de la présente situation ! Et pour tout vous dire, nous réfléchissons déjà à en prévoir les conséquences. Quant à ces causeries, nous n'avons que faire de ces petits maîtres ridicules qui s'excitent et frétillent à la simple idée du prestige qu'ils pourraient tirer de leur proximité avec le roi. Fort heureusement, l'époque où le profit allait aux seuls soumis capables de flagorneries est définitivement révolue ... Parlez-moi plutôt de nos affaires. Auriez-vous enfin trouvé la pie au nid ?
— À dire vrai, les familles de nos provinces éprouvent de plus en plus de frilosité à se montrer à la cour, et j'avoue connaitre le plus grand mal à trouver une prétendante à la hauteur des exigences de Son Éminence. C'est la raison pour laquelle j'ose la supplier de bien vouloir me pardonner, d'autant que j'ai comme compagnie une charmante ingénue découverte récemment, aussi timide que puisse l'être une fleur cachée sous les feuilles, et dont la candeur devrait lui faire oublier, l'espace d'un moment, les tracas du pouvoir.
— Ah ? Vos propos ne manquent pas d'éveiller notre curiosité. Et puisqu'il nous faudra encore patienter avant de pouvoir mener une rencontre d'importance, voyons pour l'heure quel chat nous avons bien pu acheter en poche.
— Elle appartient à l'une des familles les plus honnêtes et les plus respectables qui soient et mène en cela une vie irréprochable. Elle a été élevée simplement, dans l'ignorance des enjeux qui intéressent les grands de ce monde et de la politique. Votre Éminence, laissez-moi vous présenter l'ineffable ... Mademoiselle de Vallin !
Sur ces mots, la marquise de Bonvouloir entreprend une brève révérence et s'en va virevoltant en direction de l’imposante porte en chêne qui sépare le bureau du vestibule voisin. Les valets de pied, la voyant approcher, ouvrent diligemment les battants richement ouvragés, invitant une silhouette plongée dans la pénombre à entrer. Et alors qu’elle s'avance lentement, la douce lumière qui inonde la pièce depuis les hautes baies, par un délicat jeu de clair-obscur, souligne la finesse de sa taille, l’élégance de son allure et son port de tête gracile. Puis, à mesure qu'elle se rapproche, l'étrange apparition laisse progressivement la place à une éblouissante demoiselle dont la délicatesse du visage, encadré de longues boucles mordorées, le regard gris perle et les lèvres délicieusement ourlées, finissent d'ensorceler le vieil homme, à présent tout entier sur son séant :
— Entrez, mon jeune enfant, entrez donc. Ne craignez rien.
La plupart des audiences se déroulent dans le calme feutré qui convient aux rencontres diplomatiques, mais un réflexe atavique me saisit soudain. Je n’en crois pas mes yeux : au bout de la laisse que la jouvencelle tient entre ses mains délicates, j’aperçois un siamois de la plus pure race. Un émissaire du Siam, allié des hollandais, rue Saint-Honoré, en plein cœur de Paris ?! N'écoutant que mon courage, je me rue sans délai sur l’importun, à l'instar de sa maîtresse, qui se risque à lui porter secours :
— Léonard !
Toutes griffes dehors, je tente d’atteindre ma cible d'un habile coup de patte avant de me dégager, mais ce diable au regard vicieux se dérobe d'une sémillante cabriole. Tout en poussant de longs miaulements rauques et en faisant le gros dos, je me déplace lentement dans sa direction en changeant de ligne. Le malotru se met immédiatement en garde, le corps effacé pour se protéger d’une éventuelle attaque, et me répond en crachant. Prime. L'instant d'après, les coups pleuvent et nos pelages s’entremêlent, alors que nous nous roulons sur les tapis précieux et que nos vociférations emplissent les lieux ; il saigne de l'oreille, moi du museau. Seconde. Reprenant l'initiative, je fais mine de provoquer une ouverture, mais il devine mes intentions et s'éclipse sous un secrétaire. Le bougre est trop rapide et je n'ai d'autre choix que de me lancer à sa poursuite. Dénué d'audace, il décide de rompre le combat et de se mettre hors de portée en s’accrochant à un rideau qu'il escalade en toute hâte.
— À la garde ! hurle le cardinal. Rubis, il suffit, c'est assez !
Deux mousquetaires à la casaque écarlate et au large feutre orné d'un panache blanc surgissent dans la pièce, le chien de leur pistolet abattu, tandis que nous sautons de voilages en tentures. Soudain, une tringle se décroche et chute sur Madame de Bonvouloir. La malheureuse peine à se dépêtrer des épaisses étoffes, cependant que notre engagement reprend de plus belle. Tierce. Je repousse une nouvelle attaque et, passant rapidement de profil, je déclenche une riposte et l'écorne en retour, sans succès. Quarte. Il feint une retraite puis s'allonge de tout son long et me lance, avec force énergie, une volée de griffes acérées que j’esquive avant d’entreprendre une manœuvre pour le saisir. Quinte. Alors que j’empoigne l’intrus et que Mademoiselle de Vallin porte ses mains à son visage de désarrois, les gardes s’affairent autour de la marquise. Tenace, il parvient à se libérer en effectuant une roulade vers l’arrière, mettant dès lors suffisamment de distance entre nous, si bien que nous convenons d’une trêve et reprenons notre souffle. Le vacarme se mue aussitôt en un silence pesant ; ce genre de silence qui précède l’assaut final. Sixte. De face, il précipite une énième estocade en prenant appui sur la table, mais je passe par-dessous dans un mouvement emmené et profite de l'occasion pour me positionner derrière lui, non sans renverser une écuelle de lait sur la pauvre marquise, désormais en prise avec les paniers qui maintiennent les jupons de sa robe. Son Éminence, visiblement meurtrie par tant de désordre, a retrouvé son fauteuil d’où elle agonise en poussant de longs râles, de telle sorte que chacun la croit à l'article de la mort. De son côté, mon adversaire a trouvé refuge dans les bras de sa jeune maîtresse, faisant de notre échauffourée rien de moins qu’un singulier souvenir, et tous se penchent bientôt sur le mourant pour recueillir ses dernières paroles. Assis sur mon postérieur, plissant doucement les yeux, je prends quelques instants pour remettre un peu d'ordre dans mon pelage, d'ordinaire si soigné. Mon ouïe affûtée me permet d’entendre les ultimes volontés de l'ecclésiastique et pair de France, dont certains gageront qu'il aura préféré foudroyer ses semblables plutôt que de les gouverner :
— Tout va bien, laissez-nous. Laissez-nous ! ordonne-t-il en agitant négligemment les mains, manifestement remis de ses émotions. Madame, si nous n’apprécions guère le procédé, force est de reconnaitre que vous vous êtes une fois de plus montrée à la hauteur de nos expectations ... ainsi que des sommes astronomiques qui servent vos émoluments.
— Son Éminence devrait prendre un peu de repos. Après tout, les ordonnances et les lois peuvent bien attendre. Souhaitez-vous que l'on fasse venir Blouyn afin qu'il vous donne vos médecines ?
— N'en faites rien ! Les grands embrasements naissent souvent de petites étincelles, et nous réfléchissons justement à priver le parlement britannique d’une déplaisante alliance avec l'Espagne ; projet dont il nous faut instruire Mademoiselle de Vallin sur-le-champ si nous voulons qu'elle attise les flammes d’un incendie qui finira de consumer le royaume d’Angleterre ... Qu'elle nous rejoigne dans nos appartements ... SEULE !
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Paris, 1633. Les dragons menacent le royaume de France. Surgis de la nuit des temps, ils sont décidés à restaurer leur règne absolu. Usant de sorcellerie, ils ont pris apparence humaine et créé une puissante société secrète, la Griffe noire, qui conspire dans les plus grandes cours d’Europe. Pour déjouer leurs complots, Richelieu dispose d’une compagnie d’aventuriers et de duellistes rivalisant de courage, d’élégance et d’astuce, prêts à braver tous les dangers et à risquer leur vie pour la Couronne : les Lames du Cardinal ! Découvrez sans plus attendre la trilogie imaginée par Pierre Pevel et publiée entre 2007 et 2010 aux éditions Bragelonne, avant d'être rééditée sous sa forme intégrale en 2019.
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