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UNE NOUVELLE EMPREINTE DE SURNATUREL
Temps de lecture : 13-15 minutes
Auteur : Récits Polyédriques © 2025
La présente nouvelle s'inspire librement d'un texte paru en 1948, Le Dragon, de l'auteur américain Ray Bradbury, entre autres célèbre pour son roman dystopique publié en 1953, Fahrenheit 451. Elle dépeint une série d'évènements tragiques qui ne sont pas sans rappeler ceux qui ont frappé l'ancienne province du Gévaudan, alors que le récit historique cède progressivement la place au conte surnaturel.
L'illustration utilisée ici est l'œuvre de l'artiste britannique Jama Jurabaev, graphiste conceptuel et directeur artisitique travaillant pour les industries du cinéma et du jeu vidéo. Il a notamment collaboré sur des productions à succès comme Jurassic World : Fallen Kingdom, Kong : Skull Island, Ready Player One ou Star Wars ...
Selon la tradition, les rares Templiers ayant survécu à cette terrible journée du vendredi 13 octobre 1307 auraient trouvé refuge dans les montagnes d'Écosse pour s’y cacher sous les signes de la Franc-maçonnerie, lorsqu’ils n’auront pas rejoint des cercles alchimistes établis en Allemagne soi-disant inspirés d’obscurs manifestes supposant une possible survivance secrète de l'ordre. Mais certains textes méconnus évoquent, outre la nature énigmatique d'un trésor lié à la légende du saint Graal dont ils seraient aujourd'hui encore les gardiens, bien d’autres mystères, ou comment, par exemple, plusieurs d'entre eux seraient miraculeusement parvenus à fuir les sénéchaux et baillis du roi de France sans être inquiétés, avant de disparaitre sans laisser la moindre trace ...
Selon la tradition, les rares Templiers ayant survécu à cette terrible journée du vendredi 13 octobre 1307 auraient trouvé refuge dans les montagnes d'Écosse pour s’y cacher sous les signes de la Franc-maçonnerie, lorsqu’ils n’auront pas rejoint des cercles alchimistes établis en Allemagne soi-disant inspirés d’obscurs manifestes supposant une possible survivance secrète de l'ordre. Mais certains textes méconnus évoquent, outre la nature énigmatique d'un trésor lié à la légende du saint Graal dont ils seraient aujourd'hui encore les gardiens, bien d’autres mystères, ou comment, par exemple, plusieurs d'entre eux seraient miraculeusement parvenus à fuir les sénéchaux et baillis du roi de France sans être inquiétés, avant de disparaitre sans laisser la moindre trace ...
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Tout d’abord, il y eut un murmure. Puis le murmure enfla à mesure que les jours passaient et devint rumeur, avant de se commuer en une vérité angoissante. Après des semaines, l'étrange histoire, colportée de village en village, parvint finalement jusqu'à la capitale des trois Gaules. Là, elle fut chuchotée à un représentant du pouvoir royal. L’homme, surpris, ordonna une enquête. L’enquêteur, rendu sur place, confirma tout. Alors on envoya un messager jusqu’à la tête du royaume. Il voyagea longtemps avant de parvenir aux abords du palais du Louvre. On lui fit quelques difficultés à l’entrée du palais, tant il était crasseux et présentait mal. Il donna son nom. On prévint le chancelier, monsieur Guillaume de Nogaret, qui ordonna qu’on laisse entrer le visiteur. Les deux hommes s’entretinrent longuement. L’angoisse de Nogaret augmenta, encore et encore, à un point tel que malgré sa grande pratique du pouvoir, il ne parvint pas à masquer son trouble. Puis le messager fut congédié. On acheta sa discrétion contre quelques écus. Le légiste resta seul, songeant à sa vie et à tout ce qu’il avait lutté pour en arriver où il se trouvait aujourd’hui. Pour cette force de la nature, au sommet de sa gloire, l’entrevue fut un très mauvais moment. Il venait à peine d’en terminer avec le procès de l'ordre des moines-guerriers qu'il était enfin parvenu à détruire. Tout s'était passé sans surprise, si ce n’est ce félon de grand maître qui s’était permis de le maudire avant de périr par le feu. Lui, Nogaret, le conseiller personnel de Philippe le Bel et garde du sceau royal, maudit comme un vulgaire paysan, tout comme le roi et le pape d'ailleurs ! Vieux fou que ce grand maître ... La cour, témoin de l’événement, n’avait accordé que peu de crédit à cette malédiction. Et puis le pape Clément est mort ... Alors la noblesse commença à s'interroger, bientôt suivie par le peuple de Paris. Quelques-uns s’imaginèrent bien quelques raisons rationnelles, néanmoins la rumeur y voyait là, à mesure que les jours passaient, la preuve de pratiques occultes.
Maintenant que remontaient des tréfonds du royaume des nouvelles étranges et inquiétantes, monsieur de Nogaret était inquiet. Ses ennemis ne tarderaient pas à utiliser tout ceci contre lui. Cette fois, l’énormité du sujet impliquait qu’il arriverait immanquablement aux oreilles du monarque. Le roi devait être avisé. Nogaret laissa à plus tard ses épais dossiers et se rendit sans attendre dans la salle du conseil où il savait pouvoir l’y trouver et encore, l’y trouver seul. Malgré le fait que l’endroit fut immense et particulièrement sombre, Philippe remarqua son ministre dès son arrivée :
— Que me vaut votre présence, monsieur de Nogaret ?
— Sire, une nouvelle au sujet de laquelle il faut que je vous entretienne urgemment.
— La sureté de l’État serait-elle en péril ?
— Je le pense effectivement.
— Dans ce cas, je vous écoute, monsieur de Nogaret.
— Sire, on vient de m’informer d’évènements étranges dans les marécages de la Dombes ...
— ... aidez-moi. Cela m’échappe tout à fait. Où donc se situent ces marais ?
— Dans les environs de Lyon. Une bien belle ville, depuis peu rattachée à votre personne.
— Et que s'y passe-t-il ?
— Mes informateurs me rapportent des choses incompréhensibles. D’ailleurs, elles sont si particulières que j’hésite même à exposer les faits à votre Majesté. Il se raconte que durant les soirs de pleine lune, lorsqu’une brume épaisse recouvre les lieux, une créature mythologique sortirait de son antre pour s’attaquer aux malheureux qui ont le funeste malheur de croiser sa route.
— ... monsieur de Nogaret, croyez-vous vraiment qu’il nous faille porter un quelconque crédit à pareille histoire ?
Sur ces mots, le roi se leva et se déplaça jusqu’au mur le plus proche afin de contempler l’une des nombreuses tentures accrochées là, tandis que son plus fidèle conseiller gardait le silence.
— Sire. Pour être franc, je suis davantage inquiet de sa concomitance avec les récents évènements qui ont ébranlé le royaume ; l’adultère des ces prétendues princesses qui ont eu le malheur de se comporter comme de vulgaires catins, vos fils cocus ou le doute sur l’enfant de votre aîné, bâtard qui pourrait menacer la couronne de France. Et puis il y a la mort de Clément V et cette malédiction proférée il y a peu à votre endroit ...
— Assez monsieur ! Assez avec cette malédiction ! A-t-on jamais vu Dieu frapper ainsi à la demande d’un simple mortel ?
— Sire. Je me demandais simplement s'il ne serait tout de même pas judicieux de procéder à quelques investigations poussées.
L'homme, qui appartenait à cette portion éclairée, intelligente et pleine de feu de la race languedocienne, n'osa rompre le silence qui suivit, alors que le monarque lui tournait le dos, pensif.
— ... et quelle est donc cette créature supposée dont vous me parlez ?
— Sire, depuis cette lointaine province, on parle d’un dragon.
— Songez-vous seulement à ce que vous me dites monsieur de Nogaret ? Nous savons vous et moi que ces créatures ne sont que chimères destinées à effrayer un peuple trop crédule.
— Sire, songez à la malédiction. Chacun en pensait la même chose, jusqu'à la mort du pape. Il nous faut traiter tout aussi sérieusement cette affaire avant que la rumeur n'enfle.
— Très bien ... Vous dépêcherez donc quelques chevaliers loyaux et courageux à des fins d’investigations plus poussées et le cas échéant, à des fins d’élimination de cette créature. À quels hommes pensez-vous, monsieur, pour s’acquitter de pareille tâche ?
Nogaret s’attendait à une telle demande. Ainsi avait-il déjà une idée précise des gentilshommes qu’il allait envoyer.
— Je pense aux sieurs Olivier de Monfort et Jean de Clisson.
— Bien monsieur de Nogaret. La fine fleur de la chevalerie bretonne ! Y a-t-il d’autres éléments que vous devez porter à notre connaissance ?
— Sire. J’en ai terminé.
— Très bien. Dans ce cas, laissez-nous.
Le juriste se retira dans son bureau et fit de suite quérir les deux chevaliers. On trouva Olivier de Monfort dans la chapelle du Louvre, où il priait pour le prompt rétablissement de sa mère, tombée malade récemment. Les saignées étant inefficaces, il crut bon d’y ajouter quelques prières pour adoucir le Tout-Puissant. Monsieur de Clisson, lui, consultait les archives du royaume dans la bibliothèque du palais. Il y cherchait un moyen juridique de résoudre un vieux conflit familial à propos de terres dont l'un de ses cousins lui contestait la propriété. Tous deux furent bien évidemment surpris d’être ainsi conviés. Tout le monde savait à quel point monsieur de Nogaret s’appliquait à abattre le glaive de la justice royale sur quiconque osait se dresser contre les projets et les décisions du roi, si bien qu'on le rencontrait rarement sans raison ; aucun doute possible, l’affaire devait être grave ! Lorsque les deux hommes rejoignirent le chancelier, l’homme était assis derrière un large bureau richement ouvragé, en train de parapher des parchemins à destination de ses visiteurs. Derrière lui, sur une grande et lourde armoire, des bougies en grand nombre attendaient leur tour pour passer à la flamme. Le locataire des lieux, en fonctionnaire dévoué, avait pour habitude de travailler fort tard la nuit.
— Messieurs, dit-il sans même se lever, je vous ai fait mander pour une mission d’importance vitale pour le royaume et sa Majesté le roi.
— Nous vous écoutons, chevalier Guillaume, répondirent les deux hommes.
— Mes informateurs m’ont indiqué une étrangeté aux abords de la ville de Lyon. Il se murmure qu’une créature démoniaque y ferait son office les soirs de pleine lune.
— De quel genre de créature parlons-nous, monsieur de Nogaret, interrogea Jean de Clisson ?
— Nous parlons d’un dragon, messieurs. Bien que tout ceci semble incroyable, j’ai avec moi quelques éléments m’obligeant à considérer cette histoire sous un angle des plus sérieux.
Les deux chevaliers se montrèrent très surpris par pareille révélation.
— Mais, monsieur de Nogaret, poursuivit Olivier de Monfort. Êtes-vous sûr de ce que vous annoncez ? Ne serait-ce pas là quelques hallucinations de paysans avinés ?
— Monsieur de Monfort, j’ai bien peur que non. On compte désormais une trentaine de disparitions sur les quatre derniers mois. Aussi vous comprendrez que je vous dépêche sur place afin d’y mener votre propre enquête. Et s’il s’avérait que cette créature existe bel et bien, je vous ordonne de procéder à son élimination par tout moyen que vous jugeriez utile.
Le chancelier se leva et donna à chacun un parchemin faisant office d’ordre de mission.
— Ces lettres constituent votre laissez-passer jusqu’aux marais de la Dombes. De nombreux agents du royaume se placeront à votre service à la vue de mon sceau. Vous trouverez le gîte et le couvert dans chaque ville dans laquelle vous jugerez bon de vous arrêter. Messieurs, vous passerez voir monsieur l’intendant du trésor royal. J’ai prévu une compensation financière pour votre dévouement et pour financer votre voyage et votre équipement. Une bourse équivalente vous sera donnée à votre retour. Une dernière chose : lors de votre dernière étape, vous serez reçu dans le château de monsieur de Malavois. Il est de mes connaissances et je sais pouvoir compter sur lui. Vous vous mettre en route dès ce soir. Deux chevaux de l’écurie personnelle du roi sont à votre disposition. Que Dieu puisse vous garder en sa sainte bienveillance ...
Les deux hommes se retirèrent, firent prévenir leurs proches et partirent sans attendre. Ce n’était pas tellement que la tâche les passionnait. En vérité, ils ne croyaient pas un mot de toute cette histoire, comme ils ne croyaient pas davantage à la magie, à la sorcellerie et à toutes ces choses occultes. Pour eux, il s’agissait d’une de ces histoires tout juste bonnes à endormir le peuple, à l’occuper en ces temps de disette. Mais voilà, le refus n’était pas possible. D'aucun en quête de respectabilité ne pouvait se permettre de déplaire à monsieur de Nogaret et encore moins à son souverain. Ils arrivèrent à Lyon dix jours plus tard, après un trajet éreintant, et parvinrent sur les terres des Malavois, non loin des marais de la Dombes deux jours plus tard.
Tout d’abord, il y eut un murmure. Puis le murmure enfla à mesure que les jours passaient et devint rumeur, avant de se commuer en une vérité angoissante. Après des semaines, l'étrange histoire, colportée de village en village, parvint finalement jusqu'à la capitale des trois Gaules. Là, elle fut chuchotée à un représentant du pouvoir royal. L’homme, surpris, ordonna une enquête. L’enquêteur, rendu sur place, confirma tout. Alors on envoya un messager jusqu’à la tête du royaume. Il voyagea longtemps avant de parvenir aux abords du palais du Louvre. On lui fit quelques difficultés à l’entrée du palais, tant il était crasseux et présentait mal. Il donna son nom. On prévint le chancelier, monsieur Guillaume de Nogaret, qui ordonna qu’on laisse entrer le visiteur. Les deux hommes s’entretinrent longuement. L’angoisse de Nogaret augmenta, encore et encore, à un point tel que malgré sa grande pratique du pouvoir, il ne parvint pas à masquer son trouble. Puis le messager fut congédié. On acheta sa discrétion contre quelques écus. Le légiste resta seul, songeant à sa vie et à tout ce qu’il avait lutté pour en arriver où il se trouvait aujourd’hui. Pour cette force de la nature, au sommet de sa gloire, l’entrevue fut un très mauvais moment. Il venait à peine d’en terminer avec le procès de l'ordre des moines-guerriers qu'il était enfin parvenu à détruire. Tout s'était passé sans surprise, si ce n’est ce félon de grand maître qui s’était permis de le maudire avant de périr par le feu. Lui, Nogaret, le conseiller personnel de Philippe le Bel et garde du sceau royal, maudit comme un vulgaire paysan, tout comme le roi et le pape d'ailleurs ! Vieux fou que ce grand maître ... La cour, témoin de l’événement, n’avait accordé que peu de crédit à cette malédiction. Et puis le pape Clément est mort ... Alors la noblesse commença à s'interroger, bientôt suivie par le peuple de Paris. Quelques-uns s’imaginèrent bien quelques raisons rationnelles, néanmoins la rumeur y voyait là, à mesure que les jours passaient, la preuve de pratiques occultes.
Maintenant que remontaient des tréfonds du royaume des nouvelles étranges et inquiétantes, monsieur de Nogaret était inquiet. Ses ennemis ne tarderaient pas à utiliser tout ceci contre lui. Cette fois, l’énormité du sujet impliquait qu’il arriverait immanquablement aux oreilles du monarque. Le roi devait être avisé. Nogaret laissa à plus tard ses épais dossiers et se rendit sans attendre dans la salle du conseil où il savait pouvoir l’y trouver et encore, l’y trouver seul. Malgré le fait que l’endroit fut immense et particulièrement sombre, Philippe remarqua son ministre dès son arrivée :
— Que me vaut votre présence, monsieur de Nogaret ?
— Sire, une nouvelle au sujet de laquelle il faut que je vous entretienne urgemment.
— La sureté de l’État serait-elle en péril ?
— Je le pense effectivement.
— Dans ce cas, je vous écoute, monsieur de Nogaret.
— Sire, on vient de m’informer d’évènements étranges dans les marécages de la Dombes ...
— ... aidez-moi. Cela m’échappe tout à fait. Où donc se situent ces marais ?
— Dans les environs de Lyon. Une bien belle ville, depuis peu rattachée à votre personne.
— Et que s'y passe-t-il ?
— Mes informateurs me rapportent des choses incompréhensibles. D’ailleurs, elles sont si particulières que j’hésite même à exposer les faits à votre Majesté. Il se raconte que durant les soirs de pleine lune, lorsqu’une brume épaisse recouvre les lieux, une créature mythologique sortirait de son antre pour s’attaquer aux malheureux qui ont le funeste malheur de croiser sa route.
— ... monsieur de Nogaret, croyez-vous vraiment qu’il nous faille porter un quelconque crédit à pareille histoire ?
Sur ces mots, le roi se leva et se déplaça jusqu’au mur le plus proche afin de contempler l’une des nombreuses tentures accrochées là, tandis que son plus fidèle conseiller gardait le silence.
— Sire. Pour être franc, je suis davantage inquiet de sa concomitance avec les récents évènements qui ont ébranlé le royaume ; l’adultère des ces prétendues princesses qui ont eu le malheur de se comporter comme de vulgaires catins, vos fils cocus ou le doute sur l’enfant de votre aîné, bâtard qui pourrait menacer la couronne de France. Et puis il y a la mort de Clément V et cette malédiction proférée il y a peu à votre endroit ...
— Assez monsieur ! Assez avec cette malédiction ! A-t-on jamais vu Dieu frapper ainsi à la demande d’un simple mortel ?
— Sire. Je me demandais simplement s'il ne serait tout de même pas judicieux de procéder à quelques investigations poussées.
L'homme, qui appartenait à cette portion éclairée, intelligente et pleine de feu de la race languedocienne, n'osa rompre le silence qui suivit, alors que le monarque lui tournait le dos, pensif.
— ... et quelle est donc cette créature supposée dont vous me parlez ?
— Sire, depuis cette lointaine province, on parle d’un dragon.
— Songez-vous seulement à ce que vous me dites monsieur de Nogaret ? Nous savons vous et moi que ces créatures ne sont que chimères destinées à effrayer un peuple trop crédule.
— Sire, songez à la malédiction. Chacun en pensait la même chose, jusqu'à la mort du pape. Il nous faut traiter tout aussi sérieusement cette affaire avant que la rumeur n'enfle.
— Très bien ... Vous dépêcherez donc quelques chevaliers loyaux et courageux à des fins d’investigations plus poussées et le cas échéant, à des fins d’élimination de cette créature. À quels hommes pensez-vous, monsieur, pour s’acquitter de pareille tâche ?
Nogaret s’attendait à une telle demande. Ainsi avait-il déjà une idée précise des gentilshommes qu’il allait envoyer.
— Je pense aux sieurs Olivier de Monfort et Jean de Clisson.
— Bien monsieur de Nogaret. La fine fleur de la chevalerie bretonne ! Y a-t-il d’autres éléments que vous devez porter à notre connaissance ?
— Sire. J’en ai terminé.
— Très bien. Dans ce cas, laissez-nous.
Le juriste se retira dans son bureau et fit de suite quérir les deux chevaliers. On trouva Olivier de Monfort dans la chapelle du Louvre, où il priait pour le prompt rétablissement de sa mère, tombée malade récemment. Les saignées étant inefficaces, il crut bon d’y ajouter quelques prières pour adoucir le Tout-Puissant. Monsieur de Clisson, lui, consultait les archives du royaume dans la bibliothèque du palais. Il y cherchait un moyen juridique de résoudre un vieux conflit familial à propos de terres dont l'un de ses cousins lui contestait la propriété. Tous deux furent bien évidemment surpris d’être ainsi conviés. Tout le monde savait à quel point monsieur de Nogaret s’appliquait à abattre le glaive de la justice royale sur quiconque osait se dresser contre les projets et les décisions du roi, si bien qu'on le rencontrait rarement sans raison ; aucun doute possible, l’affaire devait être grave ! Lorsque les deux hommes rejoignirent le chancelier, l’homme était assis derrière un large bureau richement ouvragé, en train de parapher des parchemins à destination de ses visiteurs. Derrière lui, sur une grande et lourde armoire, des bougies en grand nombre attendaient leur tour pour passer à la flamme. Le locataire des lieux, en fonctionnaire dévoué, avait pour habitude de travailler fort tard la nuit.
— Messieurs, dit-il sans même se lever, je vous ai fait mander pour une mission d’importance vitale pour le royaume et sa Majesté le roi.
— Nous vous écoutons, chevalier Guillaume, répondirent les deux hommes.
— Mes informateurs m’ont indiqué une étrangeté aux abords de la ville de Lyon. Il se murmure qu’une créature démoniaque y ferait son office les soirs de pleine lune.
— De quel genre de créature parlons-nous, monsieur de Nogaret, interrogea Jean de Clisson ?
— Nous parlons d’un dragon, messieurs. Bien que tout ceci semble incroyable, j’ai avec moi quelques éléments m’obligeant à considérer cette histoire sous un angle des plus sérieux.
Les deux chevaliers se montrèrent très surpris par pareille révélation.
— Mais, monsieur de Nogaret, poursuivit Olivier de Monfort. Êtes-vous sûr de ce que vous annoncez ? Ne serait-ce pas là quelques hallucinations de paysans avinés ?
— Monsieur de Monfort, j’ai bien peur que non. On compte désormais une trentaine de disparitions sur les quatre derniers mois. Aussi vous comprendrez que je vous dépêche sur place afin d’y mener votre propre enquête. Et s’il s’avérait que cette créature existe bel et bien, je vous ordonne de procéder à son élimination par tout moyen que vous jugeriez utile.
Le chancelier se leva et donna à chacun un parchemin faisant office d’ordre de mission.
— Ces lettres constituent votre laissez-passer jusqu’aux marais de la Dombes. De nombreux agents du royaume se placeront à votre service à la vue de mon sceau. Vous trouverez le gîte et le couvert dans chaque ville dans laquelle vous jugerez bon de vous arrêter. Messieurs, vous passerez voir monsieur l’intendant du trésor royal. J’ai prévu une compensation financière pour votre dévouement et pour financer votre voyage et votre équipement. Une bourse équivalente vous sera donnée à votre retour. Une dernière chose : lors de votre dernière étape, vous serez reçu dans le château de monsieur de Malavois. Il est de mes connaissances et je sais pouvoir compter sur lui. Vous vous mettre en route dès ce soir. Deux chevaux de l’écurie personnelle du roi sont à votre disposition. Que Dieu puisse vous garder en sa sainte bienveillance ...
Les deux hommes se retirèrent, firent prévenir leurs proches et partirent sans attendre. Ce n’était pas tellement que la tâche les passionnait. En vérité, ils ne croyaient pas un mot de toute cette histoire, comme ils ne croyaient pas davantage à la magie, à la sorcellerie et à toutes ces choses occultes. Pour eux, il s’agissait d’une de ces histoires tout juste bonnes à endormir le peuple, à l’occuper en ces temps de disette. Mais voilà, le refus n’était pas possible. D'aucun en quête de respectabilité ne pouvait se permettre de déplaire à monsieur de Nogaret et encore moins à son souverain. Ils arrivèrent à Lyon dix jours plus tard, après un trajet éreintant, et parvinrent sur les terres des Malavois, non loin des marais de la Dombes deux jours plus tard.
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Les deux chevaliers commencèrent leur enquête à Villars-les-Dombes, certains d'y recueillir le plus de témoignages. Comme convenu avec monsieur de Nogaret, ils se rendirent ensuite au château des "de Malavois". Le parchemin du chancelier produisit un effet certain sur le propriétaire des lieux. À ce jour, c’était dans cette seigneurie que l’on comptait le plus de victimes, avec un fils et une quinzaine de paysans au tableau de chasse de la créature. Les interrogatoires qui suivirent apportèrent quelques éclairages salutaires sur l’affaire. C'est ainsi qu'ils apprirent que tout avait commencé quelques mois en arrière. Un paysan avait disparu non loin du "mont noir". L’endroit s’appelait ainsi parce que même sous un grand soleil d’été, cette colline boisée semblait toujours sombre. Les rares promeneurs qui osaient s'y aventurer parlaient tous du froid qu'il y régnait ainsi que de l’absence de lumière. Il n’en fallut pas plus pour que le peuple considère ce lieu sous l’emprise de forces démoniaques. Comme d’habitude, on conseilla à tous et à toutes de ne plus s’y rendre, surtout aux enfants. Rapidement, l’endroit ne fit plus parler de lui, jusqu’à cette histoire de dragon. On ne retrouva jamais ce premier paysan disparu, pas plus entier qu’en petits morceaux. On sonda bien les marais avec des pieux en bois avant de ratisser la f orêt alentour et les champs. Rien n’y fit. Quelques semaines plus tard, un homme et deux femmes s'évanouirent dans la nature de façon tout aussi étrange. Mais cette fois-ci, on retrouva les corps, affreusement mutilés. On nota que les deux fois, la lune était pleine et qu’une brume épaisse recouvrait les marais et les alentours du mont.
Quelques semaines plus tard, la bête faucha un groupe de huit paysans. Mais cette fois, l'un d'eux survit à l’attaque. Ainsi l’on put avoir une première description de la bête. On parlait d'un animal de la taille gigantesque, couleur brûlé, les flancs écaillés, véritables rangées de boucliers impénétrables, scintillants d'un blanc sale, la tête fort grosse et couverte d'une immense corne. Elle était tellement remplie de mal que le feu sautait de sa gueule, comportement assez normal pour un dragon. Il y avait beaucoup de fumée qui s'échappaient de ses narines à son voisinage et elle poussait des cris stridents avant d'emporter ses victimes dans l’autre monde. Et ses yeux ... atroces, pleins d'une lumière jaune, de colère et même de haine contre le genre humain. Et alors que la pleine lune suivante s’élevait déjà dans le ciel nocturne, le fils aîné des Malavois prit à son tour les armes, jurant sur son honneur et celui de sa famille qu’il tuerait la créature. On ne retrouva qu’une patte de son cheval et son épée. Durant cette même nuit qui vit la perte du valeureux gentilhomme, trois paysans furent également emportés. Il fut convenu que les chevaliers Olivier de Monfort et Jean de Clisson aillent au contact de la créature sitôt la prochaine pleine lune. Par chance, ils arrivèrent dans la région trois jours avant cette dernière. Les deux hommes en profitèrent pour accumuler moult connaissances sur la créature. C'est aini qu'ils comprirent qu'elle agissait promptement et de façon impitoyable. Ils prirent donc la décision de l'attaquer avec toute la violence possible, dès que sa présence serait avérée. Au soir du troisième jour, monsieur de Malavois leur remit une missive qu’ils s’empressèrent de lire.
— Ah mais, vous avez bien mauvaise mine mon cher Jean, commença Olivier de Monfort.
— Vous avez bien raison. Vous me trouvez fort marri. Les nouvelles ne sont pas bonnes. Mon cousin me fait savoir qu’il refuse de me céder les terres dont je lui conteste la propriété. Maudit soit ce cuistre !
— Ces terres ont-elles grande valeur ?
— Non. Ce ne sont que quelques arpents stériles mais sur lesquels des hommes ont dressé de grosses pierres vers le ciel. L’endroit n’a pas grande valeur. Il est étrange et il exerce chez moi une forte fascination. J’y suis très attaché.
— Où donc se trouvent ces pierres dont vous parlez ?
— Au sud de la Bretagne. La stérilité du lieu est un sujet de plaisanterie. Les paysans affirment qu’il n’y a guère que les cailloux pour y pousser. Mais qu’importe ... Puisqu’il le faut, je retrouverais mon cousin au tribunal. Mais vous-même, vous semblez joyeux ?
— Oui, les nouvelles de ma mère sont excellentes. Elle se rétablit bien.
— Ami ! J’en suis heureux ! Nous trinquerons donc ce soir en l’honneur de madame votre mère et de son prompt rétablissement.
Pour leur dernier repas, monsieur de Malavois les reçut avec tout le faste nécessaire. On s’ouvrit l’appétit en consommant des pommes et des confiseries de cumin enrobées de miel. Les domestiques apportèrent du chou, du pourpier et les volailles rôties. On poursuivit avec les viandes lourdes, du bœuf et du porc en sauce, le tout arrosé de vin de Beaune. Le menu fut conclu par quelques dragées et du digestif à profusion. Monsieur de Clisson choisit ce moment pour lever son verre en l’honneur de madame de Monfort, ce qui toucha son compagnon. Monsieur de Malavois, bien que profondément meurtri par la perte de son fils, fit bonne figure et proposa à son tour un hommage :
— Messieurs, je lève mon verre à votre gloire future ! Puisse Dieu vous protéger dans votre combat contre cette créature.
— Nous saurons faire honneur à votre maison et à votre hospitalité, monsieur de Malavois, répondit Olivier de Monfort.
— Mon ami, je pense qu’il est temps de prendre congé de notre hôte. La nuit est tombée, poursuivit Monsieur de Clisson. Mettons-nous en arme et hâtons-nous. Il me tarde de voir de mes yeux cette étrangeté.
Dans l’heure qui suivit, les deux chevaliers avançaient lentement à travers les chemins, les champs et les étangs, en direction du mystérieux mont. Une brume abondante masquait tout au-delà d'une cinquantaine de mètres, et ce malgré la pleine lune et le ciel dénué de tout nuage. Soudain, un craquement sec les fit sursauter, bientôt suivi du bruissement sourd de branches qui s'agitent et s'entremêlent.
— As-tu entendu ? questionna Jean.
— Oui. Sans doute un arbre qui s'est effondré sous son poids.
Sans doute oui, mais n'oubliez pas que ces créatures infernales peuvent chuter des arbres sur la tête de leurs victimes,
Les deux chevaliers cheminèrent sur une lieue supplémentaire, empruntant un temps un sentier laissé à l'abandon qui reliait peut-être jadis les villages alentours, avant d'entrer dans un nouveau bois, plus profond, plus sombre et inquiétant que ceux qu'ils avaient traversé jusqu'à lors. Les rayons de la lune peinaient désormais à percer le couvert végétal, alors que des odeurs nauséabondes provenant des marais les assaillaient et que la végétation morte, tombée dans les eaux peu profondes et croupies, exhalait des relents infects. Tous leurs sens étaient en éveil et ils guettaient le moindre mouvement d’air. Au loin, on pouvait entendre les bruits de créatures nocturnes occupées à se repaître. Puis il y eut des bruits étranges ; des grincements, des craquements, et le grondement sourd d'une créature infernale qui avançait droit dans leur direction, aussi massive que féroce.
— Entends-tu, questionna à son tour Olivier de Monfort ?
— Il me semble, oui. Nous sommes bien face à cette bête cette fois.
— Elle est encore trop éloignée pour la distinguer. Continuons.
Le vacarme augmentait rapidement à mesure qu'ils progressaient, au point de couvrir le claquement des sabots et le cliquetis des armures. C'est alors qu'ils aperçurent une première lueur, puis deux ; sans doute les yeux du monstre légendaire. Le sol se mit à trembler sous ses mouvements saccadés, alors qu'il crachait d'épaisses volutes de fumée blanchâtres tout en poussant des hurlements stridents. Sans même se concerter, les deux gentilshommes lancèrent leurs montures au galop, portant leur lance sous le bras. S'en suivit un rugissement puissant accompagné d'un violent fracas, de cris de surprise, sitôt couverts par les plaintes des chevaux, puis plus rien ... plus un son, le silence. La bête s’en était allée aussi brutalement qu’elle était apparue, emportant dans son sillage les deux gentilhommes dont plus personne n'entendit parler, si bien qu'elle rejoignit la longue liste de créatures et autres "bêtes" féroces qui lancèrent nombre d'attaques mortelles à travers le royaume de France, faisant fi des louvetiers lancés à leur trousses.
Les deux chevaliers commencèrent leur enquête à Villars-les-Dombes, certains d'y recueillir le plus de témoignages. Comme convenu avec monsieur de Nogaret, ils se rendirent ensuite au château des "de Malavois". Le parchemin du chancelier produisit un effet certain sur le propriétaire des lieux. À ce jour, c’était dans cette seigneurie que l’on comptait le plus de victimes, avec un fils et une quinzaine de paysans au tableau de chasse de la créature. Les interrogatoires qui suivirent apportèrent quelques éclairages salutaires sur l’affaire. C'est ainsi qu'ils apprirent que tout avait commencé quelques mois en arrière. Un paysan avait disparu non loin du "mont noir". L’endroit s’appelait ainsi parce que même sous un grand soleil d’été, cette colline boisée semblait toujours sombre. Les rares promeneurs qui osaient s'y aventurer parlaient tous du froid qu'il y régnait ainsi que de l’absence de lumière. Il n’en fallut pas plus pour que le peuple considère ce lieu sous l’emprise de forces démoniaques. Comme d’habitude, on conseilla à tous et à toutes de ne plus s’y rendre, surtout aux enfants. Rapidement, l’endroit ne fit plus parler de lui, jusqu’à cette histoire de dragon. On ne retrouva jamais ce premier paysan disparu, pas plus entier qu’en petits morceaux. On sonda bien les marais avec des pieux en bois avant de ratisser la f orêt alentour et les champs. Rien n’y fit. Quelques semaines plus tard, un homme et deux femmes s'évanouirent dans la nature de façon tout aussi étrange. Mais cette fois-ci, on retrouva les corps, affreusement mutilés. On nota que les deux fois, la lune était pleine et qu’une brume épaisse recouvrait les marais et les alentours du mont.
Quelques semaines plus tard, la bête faucha un groupe de huit paysans. Mais cette fois, l'un d'eux survit à l’attaque. Ainsi l’on put avoir une première description de la bête. On parlait d'un animal de la taille gigantesque, couleur brûlé, les flancs écaillés, véritables rangées de boucliers impénétrables, scintillants d'un blanc sale, la tête fort grosse et couverte d'une immense corne. Elle était tellement remplie de mal que le feu sautait de sa gueule, comportement assez normal pour un dragon. Il y avait beaucoup de fumée qui s'échappaient de ses narines à son voisinage et elle poussait des cris stridents avant d'emporter ses victimes dans l’autre monde. Et ses yeux ... atroces, pleins d'une lumière jaune, de colère et même de haine contre le genre humain. Et alors que la pleine lune suivante s’élevait déjà dans le ciel nocturne, le fils aîné des Malavois prit à son tour les armes, jurant sur son honneur et celui de sa famille qu’il tuerait la créature. On ne retrouva qu’une patte de son cheval et son épée. Durant cette même nuit qui vit la perte du valeureux gentilhomme, trois paysans furent également emportés. Il fut convenu que les chevaliers Olivier de Monfort et Jean de Clisson aillent au contact de la créature sitôt la prochaine pleine lune. Par chance, ils arrivèrent dans la région trois jours avant cette dernière. Les deux hommes en profitèrent pour accumuler moult connaissances sur la créature. C'est aini qu'ils comprirent qu'elle agissait promptement et de façon impitoyable. Ils prirent donc la décision de l'attaquer avec toute la violence possible, dès que sa présence serait avérée. Au soir du troisième jour, monsieur de Malavois leur remit une missive qu’ils s’empressèrent de lire.
— Ah mais, vous avez bien mauvaise mine mon cher Jean, commença Olivier de Monfort.
— Vous avez bien raison. Vous me trouvez fort marri. Les nouvelles ne sont pas bonnes. Mon cousin me fait savoir qu’il refuse de me céder les terres dont je lui conteste la propriété. Maudit soit ce cuistre !
— Ces terres ont-elles grande valeur ?
— Non. Ce ne sont que quelques arpents stériles mais sur lesquels des hommes ont dressé de grosses pierres vers le ciel. L’endroit n’a pas grande valeur. Il est étrange et il exerce chez moi une forte fascination. J’y suis très attaché.
— Où donc se trouvent ces pierres dont vous parlez ?
— Au sud de la Bretagne. La stérilité du lieu est un sujet de plaisanterie. Les paysans affirment qu’il n’y a guère que les cailloux pour y pousser. Mais qu’importe ... Puisqu’il le faut, je retrouverais mon cousin au tribunal. Mais vous-même, vous semblez joyeux ?
— Oui, les nouvelles de ma mère sont excellentes. Elle se rétablit bien.
— Ami ! J’en suis heureux ! Nous trinquerons donc ce soir en l’honneur de madame votre mère et de son prompt rétablissement.
Pour leur dernier repas, monsieur de Malavois les reçut avec tout le faste nécessaire. On s’ouvrit l’appétit en consommant des pommes et des confiseries de cumin enrobées de miel. Les domestiques apportèrent du chou, du pourpier et les volailles rôties. On poursuivit avec les viandes lourdes, du bœuf et du porc en sauce, le tout arrosé de vin de Beaune. Le menu fut conclu par quelques dragées et du digestif à profusion. Monsieur de Clisson choisit ce moment pour lever son verre en l’honneur de madame de Monfort, ce qui toucha son compagnon. Monsieur de Malavois, bien que profondément meurtri par la perte de son fils, fit bonne figure et proposa à son tour un hommage :
— Messieurs, je lève mon verre à votre gloire future ! Puisse Dieu vous protéger dans votre combat contre cette créature.
— Nous saurons faire honneur à votre maison et à votre hospitalité, monsieur de Malavois, répondit Olivier de Monfort.
— Mon ami, je pense qu’il est temps de prendre congé de notre hôte. La nuit est tombée, poursuivit Monsieur de Clisson. Mettons-nous en arme et hâtons-nous. Il me tarde de voir de mes yeux cette étrangeté.
Dans l’heure qui suivit, les deux chevaliers avançaient lentement à travers les chemins, les champs et les étangs, en direction du mystérieux mont. Une brume abondante masquait tout au-delà d'une cinquantaine de mètres, et ce malgré la pleine lune et le ciel dénué de tout nuage. Soudain, un craquement sec les fit sursauter, bientôt suivi du bruissement sourd de branches qui s'agitent et s'entremêlent.
— As-tu entendu ? questionna Jean.
— Oui. Sans doute un arbre qui s'est effondré sous son poids.
Sans doute oui, mais n'oubliez pas que ces créatures infernales peuvent chuter des arbres sur la tête de leurs victimes,
Les deux chevaliers cheminèrent sur une lieue supplémentaire, empruntant un temps un sentier laissé à l'abandon qui reliait peut-être jadis les villages alentours, avant d'entrer dans un nouveau bois, plus profond, plus sombre et inquiétant que ceux qu'ils avaient traversé jusqu'à lors. Les rayons de la lune peinaient désormais à percer le couvert végétal, alors que des odeurs nauséabondes provenant des marais les assaillaient et que la végétation morte, tombée dans les eaux peu profondes et croupies, exhalait des relents infects. Tous leurs sens étaient en éveil et ils guettaient le moindre mouvement d’air. Au loin, on pouvait entendre les bruits de créatures nocturnes occupées à se repaître. Puis il y eut des bruits étranges ; des grincements, des craquements, et le grondement sourd d'une créature infernale qui avançait droit dans leur direction, aussi massive que féroce.
— Entends-tu, questionna à son tour Olivier de Monfort ?
— Il me semble, oui. Nous sommes bien face à cette bête cette fois.
— Elle est encore trop éloignée pour la distinguer. Continuons.
Le vacarme augmentait rapidement à mesure qu'ils progressaient, au point de couvrir le claquement des sabots et le cliquetis des armures. C'est alors qu'ils aperçurent une première lueur, puis deux ; sans doute les yeux du monstre légendaire. Le sol se mit à trembler sous ses mouvements saccadés, alors qu'il crachait d'épaisses volutes de fumée blanchâtres tout en poussant des hurlements stridents. Sans même se concerter, les deux gentilshommes lancèrent leurs montures au galop, portant leur lance sous le bras. S'en suivit un rugissement puissant accompagné d'un violent fracas, de cris de surprise, sitôt couverts par les plaintes des chevaux, puis plus rien ... plus un son, le silence. La bête s’en était allée aussi brutalement qu’elle était apparue, emportant dans son sillage les deux gentilhommes dont plus personne n'entendit parler, si bien qu'elle rejoignit la longue liste de créatures et autres "bêtes" féroces qui lancèrent nombre d'attaques mortelles à travers le royaume de France, faisant fi des louvetiers lancés à leur trousses.
*
* *
*
* *
— Dis donc ... T'as entendu ?
— Quoi donc ?
— Je vais t’y dire ... Y'a eu comme un bruit, comme si on avait touché quelque chose de métallique.
— T'es un gone sur cette ligne ?
— Oui, mais les bruits ... T'as rien entendu ?!
— Si, j’ai entendu. Des fois, les soirs de pleine lune, quand y'a de la brume sur les marais, le train y tape.
— Et tu n’arrêtes pas ?
— Arrête de me chaber !
— ... je te pose juste une question !
— Dans ce cas, non, je stoppe pas la machine. Je m’y suis déjà arrêté avant, il y a plusieurs années. J’ai remonté la voie et je n’ai rien vu.
— Rien de rien ?
— J’te dis qu’y avait rien. Par contre, je connais un autre machiniste qui a trouvé un casque.
— Un casque ?
— Ouhais, un casque. Du genre armure du moyen âge.
— Il avait piav ?
— Y buvait déjà pas le vin de messe quand il était gosse.
— Il a jacté là-dessus ?
— T’as pas l’air trépané pour dire des énormités pareilles ! Tu veux parler de quoi à la direction ?
— Bah ...
— Voilà ... "bah" ... Exactement ! Je vais t’y dire, cette région, elle pue le diable ! L’air est comme chargé, j’y trouve quelque chose de malsain. Alors je fonce, droit comme une bugne. Je ne tiens pas à traîner par ici. Alors je vais t’y dire : tu n’as rien entendu et tu n’as rien vu.
— Mais ...
— Et si par hasard un jour tu vois ou tu entends quelque chose, j’t’y engage à considérer que t’as rien vu ni rien entendu.
— On arrive dans combien de temps à Lyon ?
— Dans vingt minutes.
— On verra bien en gare s’il y a quelque chose sur la loco.
— Il n’y aura rien. Il n’y a jamais rien. Remets donc du charbon. Faut pas arriver en retard. L’heure c’est l’heure !
— Dis donc ... T'as entendu ?
— Quoi donc ?
— Je vais t’y dire ... Y'a eu comme un bruit, comme si on avait touché quelque chose de métallique.
— T'es un gone sur cette ligne ?
— Oui, mais les bruits ... T'as rien entendu ?!
— Si, j’ai entendu. Des fois, les soirs de pleine lune, quand y'a de la brume sur les marais, le train y tape.
— Et tu n’arrêtes pas ?
— Arrête de me chaber !
— ... je te pose juste une question !
— Dans ce cas, non, je stoppe pas la machine. Je m’y suis déjà arrêté avant, il y a plusieurs années. J’ai remonté la voie et je n’ai rien vu.
— Rien de rien ?
— J’te dis qu’y avait rien. Par contre, je connais un autre machiniste qui a trouvé un casque.
— Un casque ?
— Ouhais, un casque. Du genre armure du moyen âge.
— Il avait piav ?
— Y buvait déjà pas le vin de messe quand il était gosse.
— Il a jacté là-dessus ?
— T’as pas l’air trépané pour dire des énormités pareilles ! Tu veux parler de quoi à la direction ?
— Bah ...
— Voilà ... "bah" ... Exactement ! Je vais t’y dire, cette région, elle pue le diable ! L’air est comme chargé, j’y trouve quelque chose de malsain. Alors je fonce, droit comme une bugne. Je ne tiens pas à traîner par ici. Alors je vais t’y dire : tu n’as rien entendu et tu n’as rien vu.
— Mais ...
— Et si par hasard un jour tu vois ou tu entends quelque chose, j’t’y engage à considérer que t’as rien vu ni rien entendu.
— On arrive dans combien de temps à Lyon ?
— Dans vingt minutes.
— On verra bien en gare s’il y a quelque chose sur la loco.
— Il n’y aura rien. Il n’y a jamais rien. Remets donc du charbon. Faut pas arriver en retard. L’heure c’est l’heure !
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Ray Bradbury (1920-2012), écrivain américain et véritable référence du genre de l’anticipation, auteur du célèbre roman d'anticipation dystopique Fahrentheit 451, ainsi que des oniriques Chroniques martiennes, propose ici au lecteur de rejoindre "ce pays où les collines sont de brouillards et où les rivières sont de brumes, où les midis disparaissent vite, où l'ombre et les crépuscules s'attardent, où les minuits demeurent" ; dix-neuf nouvelles écrites entre 1943 et 1955 et qui abordent les genres du fantastique, de l'horreur et de l'absurde ... alors que les malheureux personnages, bien avant de connaître le mystique et le monstrueux, s'éprouvent dans une atmosphère glauque où s'effacent les limites du réel.
Ray Bradbury (1920-2012), écrivain américain et véritable référence du genre de l’anticipation, auteur du célèbre roman d'anticipation dystopique Fahrentheit 451, ainsi que des oniriques Chroniques martiennes, propose ici au lecteur de rejoindre "ce pays où les collines sont de brouillards et où les rivières sont de brumes, où les midis disparaissent vite, où l'ombre et les crépuscules s'attardent, où les minuits demeurent" ; dix-neuf nouvelles écrites entre 1943 et 1955 et qui abordent les genres du fantastique, de l'horreur et de l'absurde ... alors que les malheureux personnages, bien avant de connaître le mystique et le monstrueux, s'éprouvent dans une atmosphère glauque où s'effacent les limites du réel.
Ray Bradbury (1920-2012), écrivain américain et véritable référence du genre de l’anticipation, auteur du célèbre roman d'anticipation dystopique Fahrentheit 451, ainsi que des oniriques Chroniques martiennes, propose ici au lecteur de rejoindre "ce pays où les collines sont de brouillards et où les rivières sont de brumes, où les midis disparaissent vite, où l'ombre et les crépuscules s'attardent, où les minuits demeurent" ; dix-neuf nouvelles écrites entre 1943 et 1955 et qui abordent les genres du fantastique, de l'horreur et de l'absurde ... alors que les malheureux personnages, bien avant de connaître le mystique et le monstrueux, s'éprouvent dans une atmosphère glauque où s'effacent les limites du réel.